Nous l'avions rencontrée cet été, en vacances. Au premier regard, cette petite bonne femme m’avait plue, un côté artiste, si délicate, passionnée, tendre, sensible.... Nous avions bu l’apéro chez elle. Elle nous avait parlé de sa carrière de joueuse d’orgue de barbarie, nous avait montré les photos de ses tournées, de sa jeunesse, « suivie en psy » mais restant très imprécise, évoquant sa différence, le rejet subit toute sa vie, le manque de compréhension, l'impression que les autres restaient en surface et ne voulaient pas la connaitre…. Nous l’avions invitée avec mon homme et avions passés une soirée, une nuit pratiquement, à discuter… Les vacances terminées, nous nous étions promis de garder le contact, nous passions des heures au téléphone. Une fois je perçus une grande détresse, elle semblait dire qu’elle n’en avait plus pour longtemps, et puis ne voulait rien dire de ce qui la tourmentait, j’imaginais des trucs horribles. Au début, je pensais à un trouble bipolaire, elle était tout feu, tout flamme, euphorique puis semblait ne plus vouloir se battre. Je l’invitais à venir à la maison. Elle fit dans sa petite voiture ses 400 bornes, vint avec plein de petits cadeaux pour tout le monde, nous avons passé une semaine inoubliable… Elle a beaucoup ri, elle a mangé un peu, elle qui ne prenait plus le temps de faire tout cela, nous sommes allés au musée, au restau, au ciné, elle semblait être si vivante. C’est du reste ce qu’elle nous a dit, "il y a bien longtemps que je me croyais morte, vous me faites y croire de nouveau". Il lui a fallu repartir. Nous nous sommes appelés souvent. Le mois dernier elle m’écrivait une lettre magnifique, je lui avais envoyé « Eloge de la faiblesse » et quelques bouquins de Bobin… elle avait adoré !
- Françoise s’est pendue il y a deux jours -
L'amie qui m’a appelée ce matin m’a bien confirmé que c’était un trouble bipolaire et qu’elle ne prenait plus de traitement depuis pas mal de temps…
Je ne sais pas trop pourquoi, je vous raconte tout cela. Sûrement parce qu’un blog c’est aussi cela... Ce matin, je me suis réveillée avec ce coup de fil, et c’est l’anniversaire de mon fils, je ne veux pas lui annoncer cela aujourd’hui !
Mon cœur saigne, j’aurais beaucoup de mal dans mon blog à parler du salon Primevère, des 200 ans de Guignol ou du dernier album de Cali… je me sens vide, coupable de ne pas avoir été encore plus présente…
Je vous laisse avec ses mots, je lui avais dit que je garderais précieusement ses lettres parce qu’elle détruisait tout ce qu’elle faisait, elle avait ri et m’avait dit que d’entendre cela lui faisait un bien immense… C’est aussi ma façon de rendre hommage à cette petite bonne femme que j’appelais sœurette et qui n’a pas fini de me manquer cruellement…
"Partager les bonheurs de la vie avec générosité, pour moi c’est aimer. C’est pour tout le monde pareil la vie n’est pas un long fleuve tranquille, vous me connaissez si peu et pourtant je sais que vous m’aimez et voulez m’aider. Cela je le garde au fond de mon cœur.
Vous m’avez apprivoisée, je me suis laissée aimer. Vous m’aidez, vous m’encouragez avec tendresse et spontanéité comme moi je vous aime en retour.
Vous, moi, les autres ce n’est jamais la même histoire et pourtant à la fin les sentiments sont les mêmes : amour, manque…
Pour moi, les auteurs de ces livres Jollien, Bobin et les autres sont des compagnons avec qui j’échange les souvenirs d’expériences de vies, de joies profondes et de douleurs pénétrantes.
Même rebellés par ces souffrances, nous nous efforçons de vivre dans un combat acharné vers le bonheur. Toute vie demande tant de volonté pour la vivre, pour apprendre, pour aimer, pour être aimé avec chacun ses différences, pour supporter la blessure de perdre ceux qui nous sont chers.
Nous avons tous un roman de révolte et de lutte ou un roman d’amour à écrire bouleversant..."